Sous les jardins, la mémoire :
enquête sur un cimetière protestant oublié à Cholet
« Les enfants, n’allez pas jouer au fond du jardin, il y a des tombes… »
Cette mise en garde, souvent répétée par les anciens du quartier, pourrait bien ne pas relever de la simple légende familiale.
À l’angle des rues Émile Grasset et Decelle, dans un quartier paisible de Cholet, se cache peut-être une parcelle méconnue de l’histoire locale : un ancien cimetière protestant privé, datant vraisemblablement du XVIII? siècle. Aujourd’hui menacée par le projet immobilier de Nexity, cette terre, qui fut propriété des familles Parlier puis Nogarède, recèle peut-être les sépultures des premiers négociants protestants venus du Midi.
De Montpellier à Cholet : les protestants du négoce textile
Dès les années 1780, plusieurs familles protestantes venues de la région de Montpellier s’installent à Cholet, attirées par le développement du commerce de fils de coton teints et la production de mouchoirs. Le nom de Louis Parlier, négociant et républicain engagé, apparaît dans les récits de la bataille de Cholet en 1793. Protestant convaincu, il échappa de peu à l’exécution en déclarant sa foi à un prêtre venu lui administrer les derniers sacrements. Il fit affaire avec Paul Nogarède, également originaire d’Occitanie, qui s’établit à Cholet avant la Révolution.
Leurs descendants, bien intégrés au tissu économique local, contribuèrent à faire prospérer le commerce choletais. Auguste Nogarède, notable influent, fut conseiller municipal à plusieurs reprises au XIX? siècle.
Pourquoi un cimetière privé ?
Jusqu’à la loi de 1905, les protestants ne pouvaient être enterrés dans les cimetières catholiques. Ils inhumaient donc leurs proches dans leurs propres terrains, souvent à la limite de leurs propriétés. Discrets, ces cimetières ne dépassaient pas 100 m². Celui des Parlier puis Nogarède aurait été situé précisément à l’angle de la rue Decelle, comme le confirment les souvenirs d’habitants et l’analyse croisée de cartes cadastrales (de 1811, 1864, 1886) et d’actes notariés.
Des indices matériels troublants
Des blocs de granit utilisés comme mobilier de jardin rue Émile Grasset présentent toutes les caractéristiques de stèles funéraires réemployées : faces polies, traces d’outils anciens, usure sélective. Les forages géotechniques réalisés en 2022 par le promoteur Nexity sur le terrain révèlent des anomalies : une couche de sol meuble anormalement profonde (jusqu’à 4,7 m) dans la zone supposée du cimetière, alors que le granit affleure à moins de 2 m ailleurs. Un autre signe troublant, bien que non scientifique : des sourciers et magnétiseurs auraient détecté des « charniers » sur deux des parcelles concernées.
Un effacement en marche ?
Aujourd’hui, aucun document d’urbanisme ne reconnaît l’existence de ce site comme un lieu patrimonial ou archéologique sensible. Le permis de construire de Nexity ne mentionne aucune contrainte liée à d’éventuels vestiges historiques. La mairie de Cholet, souvent critiquée pour sa gestion du patrimoine (place Saint-Pierre, chapelle d’Aubigné, voie romaine), semble vouloir ignorer cet héritage.
Les riverains demandent :
• Un arrêté préfectoral pour autoriser un diagnostic archéologique sur les parcelles concernées ;
• Une exhumation respectueuse des éventuels corps, avec transfert dans un lieu de sépulture adapté ;
• La protection patrimoniale du site, en tant que cimetière protestant historique.
Préserver la mémoire
Au-delà des revendications patrimoniales, il s’agit de préserver la dignité des défunts et la mémoire d’une communauté protestante qui a façonné l’histoire industrielle et républicaine de Cholet. Les familles Parlier et Nogarède, engagées dès 1789 dans le mouvement patriotique local, méritent que l’on honore leur trace, même enfouie sous les pelouses du futur projet Nexity.